MAI 2025 -
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Une place restructurée, une halle, un immeuble

Avec ses volumes épurés et ses matériaux iconiques dont le béton, cette opération crée une passerelle visuelle entre passé et présent.

Bordant la place et tenant lieu de porte d’entrée, les deux nouvelles constructions forment un tout que l’on aurait scindé en deux.

Située dans l’avant-pays savoyard, Novalaise bénéficie d’une situation exceptionnelle. Proche de Chambéry et de ses activités, elle borde le lac d’Aiguebelette tout en profitant de jolies vues sur les montagnes alentour, un duo attractif qui allie nature et proximité de la ville. C’est dans ce contexte porteur que la commune a souhaité requalifier la place centrale du bourg, réduite au fil du temps à un grand carrefour hostile au piéton. Autre élément motivant ce besoin de changement, une ancienne bâtisse bordant la place. Abandonnée depuis de nombreuses années et acquise par la municipalité, son état de détérioration justifiait sa démolition, l’occasion de lancer un appel à projets pour revaloriser le cœur de Novalaise. 

À l’entrée du bourg, le passage créé, aussi étroit que possible, incite les automobilistes à ralentir.

Un ancrage raisonné

Sans programme à la clé, chaque équipe retenue avait la charge de proposer un projet qui soit le plus adapté au site et qui intègre une double approche, urbaine et architecturale.

Consciente de l’impact de tout changement et de toute intervention dans une commune de cette dimension, l’agence Patey Architectes a collecté des informations auprès des élus afin de comprendre leurs besoins et de définir un programme qui y réponde au mieux. Sa proposition résulte de cette analyse. Elle comprend une modification profonde du carrefour qui s’efface au profit d’une place dédiée aux piétons. Elle inclut également deux bâtiments judicieusement placés, le premier abritant un commerce et quatre logements, le second une halle de marché.

Pour insérer le projet dans le tissu existant, la réponse apportée rend hommage à l’architecture vernaculaire et à l’histoire du lieu, tant par ses volumes qui font écho aux bâtis voisins que par la position de la rue centrale qui retrouve son tracé d’origine. Grâce à cette analyse sensible du patrimoine existant, et le travail collaboratif mis en place depuis le début du process de création, la municipalité a soutenu et adoubé le projet. Le plus difficile ? Faire comprendre la dimension symbolique des deux constructions et dans une certaine mesure leur aspect radical.

En respectant le gabarit des bâtis existants, le projet s’insère avec précision dans le tissu urbain.

Une radicalité respectueuse

Car ici passé et présent s’entremêlent. Architecture vernaculaire et langage contemporain se rencontrent pour créer un tout manifeste qui divise. Car si les volumes des deux constructions sont directement inspirés de la typologie de l’habitat local, ils composent un monolithe que l’on aurait littéralement tranché pour faire passer une voie. Ce geste fort et symbolique s’explique. Il reflète la volonté de marquer clairement les contours de la place mais aussi de créer un passage étroit qui oblige l’automobiliste à ralentir en pénétrant dans le bourg. L’effet est réussi et confère à l’ensemble un aspect monumental sans être écrasant grâce à l’échelle du projet et son juste dimensionnement.

Autre particularité, le montage de l’opération. La municipalité ne souhaitant pas être le maître d’ouvrage du commerce et des logements, elle a limité sa commande à la halle et à l’espace public. La Compagnie d’Architecture Nouvelle (CAN), partenaire de Patey Architectes, a porté le programme de l’habitat et du commerce, permettant que l’ensemble du projet voie le jour simultanément.

Des blocs multifonctions disséminés sur la place délimitent avec subtilité le nouveau tracé de la voirie.

Une matérialité centrale

Afin de parfaire l’ancrage dans l’histoire du lieu et de donner vie à ces volumes emblématiques, la matière entre en jeu. Le but était d’apporter une dimension sensible voire sensuelle à leurs formes acérées. Là encore tradition et modernité dialoguent.

Les matériaux choisis sont puisés dans le paysage environnant. Les bâtis proches étant édifiés en pierres enduites, en pisé ou en béton maigre grossièrement banché, le choix du béton s’est imposé avec comme ligne de conduite celle d’emprunter le vocabulaire d’une technique constructive locale et traditionnelle. Concrètement, une série de voiles de béton coulés en place sur semelles filantes assurent la double fonction de structure et d’enveloppe.

La halle résulte de l’association de deux matériaux bruts : un socle maçonné supportant une charpente en épicéa massif.

Une sobriété vibrante

Souhaitant absolument conserver le béton apparent, les architectes ont fait le choix d’une isolation intérieure efficace permettant de doter les deux bâtiments d’une peau minérale, épaisse et rugueuse qui laisse voir la main de l’homme.

Pour obtenir ce résultat d’aspect artisanal, les voiles ont été réalisés progressivement. Le béton coulé le soir était décoffré le matin et immédiatement désactivé en procédant à un lavage à très haute pression qui puisse révéler ses agrégats. Un geste effectué toujours par la même personne qui l’a affiné au fur et à mesure de l’avancement du chantier. Ici, les défauts de surface, sans être recherchés, sont accueillis, mieux, ils participent pleinement à la création d’une peau qui accroche la lumière et fait écho aux parois rocheuses visibles depuis la place. Pour obtenir une teinte et une texture de peau qui s’intègrent à son l’environnement, les agrégats ont été sélectionnés avec soin. Cailloux lavés choisis dans des tons rappelant ceux des enduits présents à proximité, granulométrie supérieure à celle définie par la réglementation, rien n’a été laissé au hasard, jusqu’au coffrage constitué de rehausses de banche de 60 cm de haut qui accentue la modénature des parois en y imprimant une trame composée de petits rectangles. Et pour leur donner plus de présence et renforcer leur effet de limite protectrice, les murs pignons situés de part et d’autre de la route font 40 cm d’épaisseur.

Pour leur donner plus de légèreté et laisser pénétrer l’air et la lumière, les murs de béton encadrant la route sont percés d’ouvertures.

Plus discrets visuellement, des blocs de béton parsèment la place. Semblant avoir été extraits du mur de la halle, ils font office de bordures, de bancs ou de cadres pour la signalisation. Réalisés sur mesure en atelier dans des moules enduits d’un retardateur, leur aspect s’harmonise avec la peau des nouveaux bâtiments et le revêtement minéral sur lequel ils reposent.

Autre matériau puisé dans le paysage et l’histoire locale, la tuile plate en écaille. Elle vient recouvrir les grands toits chapeautant les volumes trapézoïdaux des deux constructions qui s’harmonisent avec l’ensemble des toitures de Novalaise. 

À l’intérieur, quand leur localisation l’autorise, les voiles béton lavés à très haute pression demeurent apparents.

Un tout remarquable

Souhaitant conserver la pureté des formes et l’effet symbolique d’un socle minéral surmonté d’une masse pixellisée en terre cuite, les éléments techniques tels que chéneaux et descentes d’eau pluviale se font ultra-discrets. Dans le même esprit, les logements nichés dans le grand toit sont à peine perceptibles. Toutes les ouvertures disposées sur les pans non perceptibles de la place et de la rue principale garantissent calme et intimité aux occupants. Pour la plupart orientées au sud, elles profitent des apports solaires. Cette disposition couplée à une isolation intérieure renforcée et à la compacité des volumes permet d’obtenir un bâtiment peu gourmand en énergie.

Malgré une approche sensible de l’histoire locale et une insertion fine dans le tissu local, l’opération ne fait pas l’unanimité. Comme bon nombre de monuments et de constructions encensés aujourd’hui, et pourtant décriés lors de leur création, cet ensemble monolithique, qui respecte tout en osant, finira par fédérer tant il instille avec justesse une dimension contemporaine à l’architecture du quotidien.

Localiser la réalisation

Reportage photo : © Studio Erick Saillet

Fiche technique

  • Maîtres d’ouvrage : commune de Novalaise / Compagnie d’Architecture Nouvelle (CAN)
  • Maîtres d’œuvre : Patey Architectes (mandataire) ; Proman (exécution)
  • BET structure : Stebat
  • Entreprise gros œuvre : Greg Construction
  • Préfabricant des bancs : Compassi
  • Surface : 3 000 m2 SU
  • Coût : 1,36 M€ HT
  • Programme : réaménagement de la place Bourniau (1 900 m2), construction d’une halle de marché (105 m2) et d’un bâtiment de 4 logements et un commerce (375 m2 SHAB).

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